Vanuit mijn donkere raam, de Santiago Montobbio

Chronique de Jean-Luc Breton

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Vanuit mijn donkere raam, de Santiago Montobbio, Éditions Piaam, Deventer (Pays-Bas)


Le joli livre, avec une élégante couverture bleu nuit, que proposent les Editions Piaam, contient une soixantaine de poèmes de Santiago Montobbio, en version bilingue espagnol-néerlandais. Le choix du traducteur, Klaas Wijnsma, s’est porté sur les poèmes de la première période de la production de Montobbio, c’est-à-dire des textes écrits dans les années 80 et publiés entre 1989 et 2011.

La sélection proposée est excellente. On retrouve évidemment le Montobbio métaphysicien qui est familier à ses lecteurs, celui qui sait superbement en quelques formules spontanées croquer l’absurde de notre inévitable quête de sens (Je parcours les corniches de la folie/ et moi seul suis le précipice ; il doit me rester une manière/ de me faire du mal, jusqu’à la fin et dans la nuit,/ une manière de viser au plus juste/ la ruine), l’absurde de la nécessité impérieuse d’écrire (j’écris pour croire que je fais mon salut,/ pour croire que je peux/ encore faire mon salut) et a fortiori celui de la critique ou de l’enseignement de la littérature (j’ai toujours été convaincu qu’il faut être/ complètement idiot pour penser/ qu’on étudie – ou encore plus grave qu’on enseigne – la littérature). On retrouve aussi l’extrême sensualité que l’auteur cache sous le verbe, sensualité qui peuple ses poèmes de lieux, d’objets, de sensations climatiques, de mille petits riens qui impriment leur trace sur la conscience du « je » qui écrit (Non seulement les choses ne sont pas comme elles sont ni même comme elles semblent être : les choses, en général, sont comme elles nous font mal). A ce titre, la sélection du recueil néerlandais retient les poèmes essentiels, les plus percutants et paradoxaux, de la production de Montobbio, et c’est un bonheur de les y retrouver.

Mon ignorance du néerlandais ne me permet pas de juger de la qualité de la traduction, mais souvent le rythme choisi par le traducteur, avec des mots courts et une alternance de syllabes longues et de syllabes courtes, semble particulièrement bien correspondre à la musique des vers de Montobbio. Le titre, Vanuit mijn donkere raam, est la traduction de celui de la première partie de L’anarchiste des feux de Bengale, « De ma fenêtre obscure », poème fondamental du laconisme existentiel de Montobbio :

La ville que personne ne voit, et c’est la plus grande,

est celle où travaillent, condamnés à être

toujours pareils,

tous les personne que je suis.

Klaas Wijnsma fait aussi le choix heureux de ne pas respecter la chronologie des publications de Santiago Montobbio et de rassembler les poèmes par thèmes en cinq grandes sections, dont une, Ver (loin), comprend les poèmes parodiques ou amusants de l’écrivain. La démarche de Montobbio, il est vrai, est en partie œuvre d’auto-dérision, mais lire en succession ces textes qui portent un masque parodique mais sont profonds par la bande, procure un sentiment temporaire de légèreté tout à fait attrayant.

Le recueil des éditions Piaam est un vrai plaisir de lecture, et les lecteurs néerlandophones vont pouvoir apprécier à leur tour les grands et beaux poèmes des premiers recueils de Santiago Montobbio, comme Hôpital des Innocents (j’admire au passage la concision du néerlandais simpelhuis) ou L’anarchiste des feux de Bengale.

©Jean-Luc Breton